007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
SPLEEN ET IDÉAL |
LXXIV LE MORT JOYEUX Dans une terre grasse et pleine d’escargots Je veux creuser moi-même une fosse profonde, Où je puisse à loisir étaler mes vieux os Et dormir dans l’oubli comme un requin dans l’onde. Je hais les testaments et je hais les tombeaux ; Plutôt que d’implorer une larme du monde, Vivant, j’aimerais mieux inviter les corbeaux À saigner tous les bouts de ma carcasse immonde. Ô vers ! noirs compagnons sans oreille et sans yeux, Voyez venir à vous un mort libre et joyeux ! Philosophes viveurs, fils de la pourriture, À travers ma ruine allez donc sans remords, Et dites-moi s’il est encor quelque torture Pour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts ! |
Le Mort joyeux Dans une terre grasse et pleine d’escargots Je veux creuser moi-même une fosse profonde, Où je puisse à loisir étaler mes vieux os Et dormir dans l’oubli comme un requin dans l’onde. Je hais les testaments et je hais les tombeaux ; Plutôt que d’implorer une larme du monde, Vivant, j’aimerais mieux inviter les corbeaux À saigner tous les bouts de ma carcasse immonde. Ô vers ! noirs compagnons sans oreille et sans yeux, Voyez venir à vous un mort libre et joyeux ; Philosophes viveurs, fils de la pourriture, À travers ma ruine allez donc sans remords, Et dites-moi s’il est encor quelque torture Pour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts ! The Joyful Corpse In a rich, heavy soil, infested with snails, I wish to dig my own grave, wide and deep, Where I can at leisure stretch out my old bones And sleep in oblivion like a shark in the wave. I have a hatred for testaments and for tombs ; Rather than implore a tear of the world, I’d sooner, while alive, invite the crows To drain the blood from my filthy carcass. O worms ! black companions with neither eyes nor ears, See a dead man, joyous and free, approaching you ; Wanton philosophers, children of putrescence, Go through my ruin then, without remorse, And tell me if there still remains any torture For this old soulless body, dead among the dead ! – William Aggeler, 1954 The Joyous Dead In a fat, greasy soil, that’s full of snails, I’ll dig a grave deep down, where I may sleep Spreading my bones at ease, to drowse in deep Oblivion, as a shark within the wave. I hate all tombs, and testaments, and wills : I want no human tears ; I’d like it more, That ravens could attack me with their bills, To broach my carcase of its living gore. O worms ! black friends, who cannot hear or see, A free and joyous corpse behold in me! You philosophic souls, corruption-bred, Plough through my ruins ! eat your merry way ! And if there are yet further torments, say, For this old soulless corpse among the dead. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |