007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
SPLEEN ET IDÉAL |
LIX CHANSON D’APRÈS-MIDI Quoique tes sourcils méchants Te donnent un air étrange Qui n’est pas celui d’un ange, Sorcière aux yeux alléchants, Je t’adore, ô ma frivole, Ma terrible passion ! Avec la dévotion Du prêtre pour son idole. Le désert et la forêt Embaument tes tresses rudes ; Ta tête a les attitudes De l’énigme et du secret ; Sur ta chair le parfum rôde Comme autour d’un encensoir ; Tu charmes comme le soir, Nymphe ténébreuse et chaude. Ah ! les philtres les plus forts Ne valent pas ta paresse, Et tu connais la caresse Qui fait revivre les morts ! Tes hanches sont amoureuses De ton dos et de tes seins, Et tu ravis les coussins Par tes poses langoureuses. Quelquefois pour apaiser Ta rage mystérieuse, Tu prodigues, sérieuse, La morsure et le baiser ; Tu me déchires, ma brune, Avec un rire moqueur, Et puis tu mets sur mon cœur Ton œil doux comme la lune. Sous tes souliers de satin, Sous tes charmants pieds de soie, Moi, je mets ma grande joie, Mon génie et mon destin, Mon âme par toi guérie, Par toi, lumière et couleur ! Explosion de chaleur Dans ma noire Sibérie ! |
Chanson d’Après-midi (1861) Quoique tes sourcils méchants Te donnent un air étrange Qui n’est pas celui d’un ange, Sorcière aux yeux alléchants, Je t’adore, ô ma frivole, Ma terrible passion ! Avec la dévotion Du prêtre pour son idole. Le désert et la forêt Embaument tes tresses rudes, Ta tête a les attitudes De l’énigme et du secret. Sur ta chair le parfum rôde Comme autour d’un encensoir ; Tu charmes comme le soir Nymphe ténébreuse et chaude. Ah! les philtres les plus forts Ne valent pas ta paresse, Et tu connais la caresse Ou fait revivre les morts ! Tes hanches sont amoureuses De ton dos et de tes seins, Et tu ravis les coussins Par tes poses langoureuses. Quelquefois, pour apaiser Ta rage mystérieuse, Tu prodigues, sérieuse, La morsure et le baiser ; Tu me déchires, ma brune, Avec un rire moqueur, Et puis tu mets sur mon coeur Ton oeil doux comme la lune. Sous tes souliers de satin, Sous tes charmants pieds de soie Moi, je mets ma grande joie, Mon génie et mon destin, Mon âme par toi guérie, Par toi, lumière et couleur ! Explosion de chaleur Dans ma noire Sibérie ! Afternoon Song Though your mischievous eyebrows Give you a singular air, Not that of an angel, Sorceress with Siren’s eyes, I adore you, my madcap, My ineffable passion ! With the pious devotion Of a priest for his idol. Your stiff tresses are scented With the desert and forest, Your head assumes the poses Of the enigma and key. Perfume lingers about your flesh Like incense about a censer ; You charm like the evening, Tenebrous, passionate nymph. Ah! the most potent philtres Are weaker than your languor, And you know the caresses That make the dead live again ! Your haunches are enamored Of your back and your bosom And you delight the cushions With your languorous poses. Sometimes, to alleviate Your mysterious passion, You lavish, resolutely, Your bites and your kisses ; You tear me open, dark beauty, With derisive laughter, And then look at my heart With eyes as soft as moonlight Under your satin slippers, Under your dear silken feet, I place all my happiness, My genius and destiny, My soul brought to life by you By your clear light and color, Explosion of heat In my dark Siberia ! – William Aggeler, 1954 Song of Afternoon Though your eyebrows’ wicked slant Give you an intriguing air Which the angels do not share Sorceress, whose eyes enchant – My passion, terrible yet gay, With all my heart I bow before you, With that devotion to adore you That priests to sacred idols pay. Deserts and woods embalmed your hair, Its movements give your head the stigma Of sphinx-like secret and enigma, Both in its attitude and air. As round a censer vapours form, About your flesh the perfumes wander. The selfsame charms you seem to squander As does an evening, dark yet warm, The strongest philtres cannot craze As does your indolent address And you have mastered a caress Dead corpses from their tombs to raise. Your hips are amorous of your breast And of your back : your languorous pose Enchants the cushions where you doze When in their depths you make your nest. Sometimes in order to appease Mysterious rages in your soul, You bite and kiss without control. Then with a mocking laugh you tease My heart, brown beauty, tearing it : Then over it the light is strewn Of your eye, softer than the moon, Till with its glance my soul is lit. Underneath your satin shoes, And underneath your silken feet, My joy, my fate, my genius meet To strew the pathway of my muse. My soul is healed, restored and made complete By you, all colour, warmth, and light, In my Siberia a bright Explosion as of tropic heat. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |