007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1868
SPLEEN ET IDÉAL
LVI

CAUSERIE

Vous êtes un beau ciel d’automne, clair et rose !
Mais la tristesse en moi monte comme la mer,
Et laisse, en refluant, sur ma lèvre morose
Le souvenir cuisant de son limon amer.

— Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se pâme ;
Ce qu’elle cherche, amie, est un lieu saccagé
Par la griffe et la dent féroce de la femme.
Ne cherchez plus mon cœur ; les bêtes l’ont mangé.

Mon cœur est un palais flétri par la cohue ;
On s’y soûle, on s’y tue, on s’y prend aux cheveux !
— Un parfum nage autour de votre gorge nue !…

Ô Beauté, dur fléau des âmes, tu le veux !
Avec tes yeux de feu, brillants comme des fêtes,
Calcine ces lambeaux qu’ont épargnés les bêtes !
 
Causerie

Vous êtes un beau ciel d’automne, clair et rose !
Mais la tristesse en moi monte comme la mer,
Et laisse, en refluant, sur ma lèvre morose
Le souvenir cuisant de son limon amer.

– Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se pâme ;
Ce qu’elle cherche, amie, est un lieu saccagé
Par la griffe et la dent féroce de la femme.
Ne cherchez plus mon coeur ; les bêtes l’ont mangé.

Mon coeur est un palais flétri par la cohue ;
On s’y soûle, on s’y tue, on s’y prend aux cheveux !
– Un parfum nage autour de votre gorge nue !...

Ô Beauté, dur fléau des âmes, tu le veux !
Avec tes yeux de feu, brillants comme des fêtes,
Calcine ces lambeaux qu’ont épargnés les bêtes !




Conversation

You are a lovely autumn sky, clear and rosy !
But sadness rises in me like the sea,
And as it ebbs, leaves on my sullen lips
The burning memory of its bitter slime.
– In vain does your hand slip over my swooning breast ;
What it seeks, darling, is a place plundered
By the claws and the ferocious teeth of woman.
Seek my heart no longer ; the beasts have eaten it.
My heart is a palace polluted by the mob ;
They get drunk there, kill, tear each other’s hair !
– A perfume floats about your naked breast !...
O Beauty, ruthless scourge of souls, you desire it !
With the fire of your eyes, brilliant as festivals,
Bum these tatters which the beasts spared !
– William Aggeler, 1954


Conversation

You’re like an autumn sky, rose, clear, and placid.
But sorrow whelms me, like the tide’s assault,
And ebbing, leaves upon my lips the acid
And muddy-bitter memory of its salt.
Your hand may stroke my breast, but not console.
What it seeks there is but a hole, deep caverned
By women’s claws and fangs, and ransacked whole.
Seek not my heart, on which the beasts have ravened.
My heart’s a palace plundered by the rabble :
They tope, they kill, in blood and guts they scrabble :
– A perfume swims around your naked breast !
O Beauty, flail of spirits, you know best !
With your eyes’ fire, lit up as for a spree,
Char the poor rags those beasts have left of me!
– Roy Campbell, 1952
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal