007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
SPLEEN ET IDÉAL |
LIII LE BEAU NAVIRE Je veux te raconter, ô molle enchanteresse ! Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ; Je veux te peindre ta beauté, Où l’enfance s’allie à la maturité. Quand tu vas balayant l’air de ta jupe large, Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large, Chargé de toile, et va roulant Suivant un rhythme doux, et paresseux, et lent. Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses, Ta tête se pavane avec d’étranges grâces ; D’un air placide et triomphant Tu passes ton chemin, majestueuse enfant. Je veux te raconter, ô molle enchanteresse ! Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ; Je veux te peindre ta beauté, Où l’enfance s’allie à la maturité. Ta gorge qui s’avance et qui pousse la moire, Ta gorge triomphante est une belle armoire Dont les panneaux bombés et clairs Comme les boucliers accrochent des éclairs ; Boucliers provoquants, armés de pointes roses ! Armoire à doux secrets, pleine de bonnes choses, De vins, de parfums, de liqueurs Qui feraient délirer les cerveaux et les cœurs ! Quand tu vas balayant l’air de ta jupe large, Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large, Chargé de toile, et va roulant Suivant un rhythme doux, et paresseux, et lent. Tes nobles jambes, sous les volants qu’elles chassent, Tourmentent les désirs obscurs et les agacent, Comme deux sorcières qui font Tourner un philtre noir dans un vase profond. Tes bras, qui se joueraient des précoces hercules, Sont des boas luisants les solides émules, Faits pour serrer obstinément, Comme pour l’imprimer dans ton cœur, ton amant. Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses, Ta tête se pavane avec d’étranges grâces ; D’un air placide et triomphant Tu passes ton chemin, majestueuse enfant. |
Le Beau Navire Je veux te raconter, ô molle enchanteresse ! Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ; Je veux te peindre ta beauté, Où l’enfance s’allie à la maturité. Quand tu vas balayant l’air de ta jupe large, Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large, Chargé de toile, et va roulant Suivant un rhythme doux, et paresseux, et lent. Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses, Ta tête se pavane avec d’étranges grâces ; D’un air placide et triomphant Tu passes ton chemin, majestueuse enfant. Je veux te raconter, ô molle enchanteresse ! Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ; Je veux te peindre ta beauté, Où l’enfance s’allie à la maturité. Ta gorge qui s’avance et qui pousse la moire, Ta gorge triomphante est une belle armoire Dont les panneaux bombés et clairs Comme les boucliers accrochent des éclairs ; Boucliers provoquants, armés de pointes roses ! Armoire à doux secrets, pleine de bonnes choses, De vins, de parfums, de liqueurs Qui feraient délirer les cerveaux et les coeurs ! Quand tu vas balayant l’air de ta jupe large Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large, Chargé de toile, et va roulant Suivant un rhythme doux, et paresseux, et lent. Tes nobles jambes, sous les volants qu’elles chassent, Tourmentent les désirs obscurs et les agacent, Comme deux sorcières qui font Tourner un philtre noir dans un vase profond. Tes bras, qui se joueraient des précoces hercules, Sont des boas luisants les solides émules, Faits pour serrer obstinément, Comme pour l’imprimer dans ton coeur, ton amant. Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses, Ta tête se pavane avec d’étranges grâces ; D’un air placide et triomphant Tu passes ton chemin, majestueuse enfant. The Beautiful Ship I want to name for you, indolent sorceress ! The divers marks of beauty which adorn your youth ; I want to describe your beauty, In which are blended childhood and maturity. When you go sweeping by in your full, flowing skirts, You resemble a trim ship as it puts to sea Under full sail and goes rolling Lazily, to a slow and easy rhythm. On your large, round neck, on your plump shoulders, Your head moves proudly and with a strange grace ; With a placid, triumphant air You go your way, majestic child. I want to name for you, indolent sorceress ! The divers marks of beauty which adorn your youth ; I want to describe your beauty, In which are blended childhood and maturity. Your exuberant breast which swells your silken gown, Your triumphant breast is a lovely cabinet Whose panels, round and bright, Catch each flash of light like bucklers, Exciting bucklers, armed with rosy points ! Cabinet of sweet secrets, crowded with good things, With wines, with perfumes, with liqueurs That would make delirious the minds and hearts of men ! When you go sweeping by in your full, flowing skirts, You resemble a trim ship as it puts to sea Under full sail and goes rolling Lazily, to a slow and easy rhythm. Your shapely legs beneath the flounces they pursue Arouse and torment obscure desires Like two sorceresses who stir A black philtre in a deep vessel. Your arms which would scorn precocious Hercules Are the worthy rivals of glistening boas, Made to clasp stubbornly Your lover, as if to imprint him on your heart. On your large, round neck, on your plump shoulders, Your head moves proudly and with a strange grace ; With a placid, triumphant air You go your way, majestic child. – William Aggeler, 1954 The Splendid Ship Oh soft enchantress, I’ll record with truth The diverse beauties that adorn your youth. Yes, I will paint your charm Of womanhood with childhood arm in arm. When you go sweeping your wide skirts, to me You seem a splendid ship that out to sea Spreads its full sails, and with them Goes rolling in a soft, slow, lazy rhythm. Over your tall, round neck and those plump shoulders, Your head swans forth its pride to all beholders, With grace triumphant, mild, And strange, you go your way, majestic child. Oh soft enchantress, I’ll record with truth The diverse beauties that adorn your youth. Yes, I will paint your charm Of womanhood with childhood arm in arm. Your bosom juts and stretches every stitch, Triumphant bosom, like a coffer rich With bosses round and rare, Like shields that draw the lightning from the air. Provoking shields, with rosy points uplifted ! Coffer of secret charms, superbly gifted, Whose scents, liqueurs, and wine Turn heart and brain deliriously thine. When you go sweeping your wide skirts, to me You seem a splendid ship that out to sea Spreads its full sails, and with them Goes rolling in a soft, slow, lazy rhythm. Your noble thighs, beneath the silks they swirl, Torment obscure desires and tease me, girl ; Like sorcerers they are That stir black philtres in a deep, cool jar. Your arms precocious Hercules would grace And vie with pythons in their bright embrace : The pressure they impart Would print your lovers’ image on your heart. Over your tall, round neck and those plump shoulders Your head swans forth its pride to all beholders, With grace triumphant, mild, And strange, you go your way, majestic child. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |