007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1868
SPLEEN ET IDÉAL
LII

LE CHAT
I

Dans ma cervelle se promène,
Ainsi qu’en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant.
Quand il miaule, on l’entend à peine,

Tant son timbre est tendre et discret ;
Mais que sa voix s’apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde.
C’est là son charme et son secret.

Cette voix, qui perle et qui filtre
Dans mon fond le plus ténébreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me réjouit comme un philtre.

Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases ;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n’a pas besoin de mots.

Non, il n’est pas d’archet qui morde
Sur mon cœur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde,

Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout est, comme en un ange,
Aussi subtil qu’harmonieux !

II
De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu’un soir
J’en fus embaumé, pour l’avoir
Caressée une fois, rien qu’une.

C’est l’esprit familier du lieu ;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire ;
Peut-être est-il fée, est-il dieu.

Quand mes yeux, vers ce chat que j’aime
Tirés comme par un aimant,
Se retournent docilement
Et que je regarde en moi-même,

Je vois avec étonnement
Le feu de ses prunelles pâles,
Clairs fanaux, vivantes opales,
Qui me contemplent fixement.
 
Le Chat
I
Dans ma cervelle se promène,
Ainsi qu’en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant.
Quand il miaule, on l’entend à peine,

Tant son timbre est tendre et discret ;
Mais que sa voix s’apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde.
C’est là son charme et son secret.

Cette voix, qui perle et qui filtre
Dans mon fonds le plus ténébreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me réjouit comme un philtre.

Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases ;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n’a pas besoin de mots.

Non, il n’est pas d’archet qui morde
Sur mon coeur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde,

Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout est, comme en un ange,
Aussi subtil qu’harmonieux !

II
De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu’un soir
J’en fus embaumé, pour l’avoir
Caressée une fois, rien qu’une.

C’est l’esprit familier du lieu ;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire ;
peut-être est-il fée, est-il dieu ?

Quand mes yeux, vers ce chat que j’aime
Tirés comme par un aimant,
Se retournent docilement
Et que je regarde en moi-même,

Je vois avec étonnement
Le feu de ses prunelles pâles,
Clairs fanaux, vivantes opales
Qui me contemplent fixement.



The Cat
I
In my brain there walks about,
As though he were in his own home,
A lovely cat, strong, sweet, charming.
When he mews, one scarcely hears him,
His tone is so discreet and soft ;
But purring or growling, his voice
Is always deep and rich ;
That is his charm and secret.
That voice forms into drops, trickles
Into the depths of my being,
Fills me like harmonious verse
And gladdens me like a philtre.
It lulls to sleep the sharpest pains,
Contains all ecstasies ;
To say the longest sentences,
It has no need of words,
No, there’s no bow that plays upon
My heart, that perfect instrument,
And makes its most vibrant chord
Sing more gloriously
Than your voice, mysterious cat,
Seraphic cat, singular cat,
In whom, as in angels, all is
As subtle as harmonious !
II
From his brown and yellow fur
Comes such sweet fragrance that one night
I was perfumed with it because
I caressed him once, once only.
A familiar figure in the place,
He presides, judges, inspires
Everything within his province ;
Perhaps he is a fay, a god ?
When my gaze, drawn as by a magnet,
Turns in a docile way
Toward that cat whom I love,
And when I look within myself,
I see with amazement
The fire of his pale pupils,
Clear signal-lights, living opals,
That contemplate me fixedly.
– William Aggeler, 1954


The Cat
I
A fine strong gentle cat is prowling
As in his bedroom, in my brain ;
So soft his voice, so smooth its strain,
That you can scarcely hear him miowling.
But should he venture to complain
Or scold, the voice is rich and deep :
And thus he manages to keep
The charm of his untroubled reign.
This voice, which seems to pearl and filter
Through my soul’s inmost shady nook,
Fills me with poems, like a book,
And fortifies me, like a philtre.
His voice can cure the direst pain
And it contains the rarest raptures.
The deepest meanings, which it captures,
It needs no language to explain.
There is no bow that can so sweep
That perfect instrument, my heart :
Or make more sumptuous music start
From its most vibrant cord and deep,
Than can the voice of this strange elf,
This cat, bewitching and seraphic,
Subtly harmonious in his traffic
With all things else, and with himself.
II
So sweet a perfume seems to swim
Out of his fur both brown and bright,
I nearly was embalmed one night
From (only once) caressing him.
Familiar Lar of where I stay,
He rules, presides, inspires and teaches
All things to which his empire reaches.
Perhaps he is a god, or fay.
When to a cherished cat my gaze
Is magnet-drawn and then returns
Back to itself, it there discerns,
With strange excitement and amaze,
Deep down in my own self, the rays
Of living opals, torch-like gleams
And pallid fire of eyes, it seems,
That fixedly return my gaze.
– Roy Campbell, 1952
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal