007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1868
SPLEEN ET IDÉAL
XLVI

CONFESSION

Une fois, une seule, aimable et douce femme,
À mon bras votre bras poli
S’appuya (sur le fond ténébreux de mon âme
Ce souvenir n’est point pâli) ;

Il était tard ; ainsi qu’une médaille neuve
La pleine lune s’étalait,
Et la solennité de la nuit, comme un fleuve,
Sur Paris dormant ruisselait.

Et le long des maisons, sous les portes cochères,
Des chats passaient furtivement,
L’oreille au guet, ou bien, comme des ombres chères,
Nous accompagnaient lentement.

Tout à coup, au milieu de l’intimité libre
Éclose à la pâle clarté,
De vous, riche et sonore instrument où ne vibre
Que la radieuse gaîté,

De vous, claire et joyeuse ainsi qu’une fanfare
Dans le matin étincelant,
Une note plaintive, une note bizarre
S’échappa, tout en chancelant

Comme une enfant chétive, horrible, sombre, immonde
Dont sa famille rougirait,
Et qu’elle aurait longtemps, pour la cacher au monde,
Dans un caveau mise au secret !

Pauvre ange, elle chantait, votre note criarde :
« Que rien ici-bas n’est certain,
Et que toujours, avec quelque soin qu’il se farde,
Se trahit l’égoïsme humain ;

Que c’est un dur métier que d’être belle femme,
Et que c’est le travail banal
De la danseuse folle et froide qui se pâme
Dans un sourire machinal ;

Que bâtir sur les cœurs est une chose sotte ;
Que tout craque, amour et beauté,
Jusqu’à ce que l’Oubli les jette dans sa hotte
Pour les rendre à l’Éternité ! »

J’ai souvent évoqué cette lune enchantée,
Ce silence et cette langueur,
Et cette confidence horrible chuchotée
Au confessionnal du cœur.
 
Confession

Une fois, une seule, aimable et douce femme,
À mon bras votre bras poli
S’appuya (sur le fond ténébreux de mon âme
Ce souvenir n’est point pâli) ;

Il était tard ; ainsi qu’une médaille neuve
La pleine lune s’étalait,
Et la solennité de la nuit, comme un fleuve,
Sur Paris dormant ruisselait.

Et le long des maisons, sous les portes cochères,
Des chats passaient furtivement
L’oreille au guet, ou bien, comme des ombres chères,
Nous accompagnaient lentement.

Tout à coup, au milieu de l’intimité libre
Éclose à la pâle clarté
De vous, riche et sonore instrument où ne vibre
Que la radieuse gaieté,

De vous, claire et joyeuse ainsi qu’une fanfare
Dans le matin étincelant
Une note plaintive, une note bizarre
S’échappa, tout en chancelant

Comme une enfant chétive, horrible, sombre, immonde,
Dont sa famille rougirait,
Et qu’elle aurait longtemps, pour la cacher au monde,
Dans un caveau mise au secret.

Pauvre ange, elle chantait, votre note criarde :
« Que rien ici-bas n’est certain,
Et que toujours, avec quelque soin qu’il se farde,
Se trahit l’égoïsme humain ;

Que c’est un dur métier que d’être belle femme,
Et que c’est le travail banal
De la danseuse folle et froide qui se pâme
Dans son sourire machinal ;

Que bâtir sur les coeurs est une chose sotte ;
Que tout craque, amour et beauté,
Jusqu’à ce que l’Oubli les jette dans sa hotte
Pour les rendre à l’Eternité ! »

J’ai souvent évoqué cette lune enchantée,
Ce silence et cette langueur,
Et cette confidence horrible chuchotée
Au confessionnal du coeur.






Confession

One time, once only, sweet, amiable woman,
On my arm your smooth arm
Rested (on the tenebrous background of my soul
That memory is not faded) ;
It was late ; like a newly struck medal
The full moon spread its rays,
And the solemnity of the night streamed
Like a river over sleeping Paris.
And along the houses, under the porte-cocheres,
Cats passed by furtively,
With ears pricked up, or else, like beloved shades,
Slowly escorted us.
Suddenly, in the midst of that frank intimacy
Born in the pale moonlight,
From you, sonorous, rich instrument which vibrates
Only with radiant gaiety,
From you, clear and joyful as a fanfare
In the glistening morning light,
A plaintive note, a bizarre note
Escaped, faltering
Like a puny, filthy, sullen, horrible child,
Who would make his family blush,
And whom they have hidden for a long time
In a secret cellar.
Poor angel, it sang, your discordant note :
“That naught is certain here below,
That always, though it paint its face with utmost care
Man’s selfishness reveals itself,
That it’s a hard calling to be a lovely woman,
And that it is the banal task
Of the cold and silly danseuse who faints away
With a mechanical smile,
That to build on hearts is a foolish thing,
That all things break, love, and beauty,
Till Oblivion tosses them into his dosser
To give them back to Eternity !”
I’ve often evoked that enchanted moon,
The silence and the languidness,
And that horrible confidence whispered
In the heart’s confessional.
– William Aggeler, 1954



Confession

Once, and once only, kind and gentle lady,
Your polished arm on mine you placed
(Deep down within my spirit, dark and shady,
I keep the memory uneffaced).
A medal, newly-coined, of flashing silver,
The full moon shone. The night was old.
Its solemn grandeur, like a mighty river,
Through sleeping Paris softly rolled.
Along the streets, by courtyard doors, cats darted
And passed in furtive, noiseless flight
With cars pricked ; or, like shades of friends departed,
Followed us slowly through the night.
Cutting this easy intimacy through,
That hatched from out that pearly light –
O rich resounding instrument, from you,
Who’d always thrilled with loud delight,
From you, till then as joyful as a peal
Of trumpets on a sparkling morn,
A cry so plaintive that it seemed unreal,
Was staggeringly torn.
Like some misborn, deformed, and monstrous kid
Who puts his family to the blush,
Whose presence in a cellar must be hid
And his existence in a hush !
Poor angel ! that harsh note was meant to sing
“That nothing in this world is certain,
And human egotism is the thing
Which all existence serves to curtain.
That it’s an irksome task to be a beauty,
A boring job one has to face –
Like frigid dancers, smiling as a duty
With hard, mechanical grimace :
That building upon hearts is idiotic :
All cracks, love, beauty, and fraternity
Until Oblivion puts them in his pocket
To pawn them on to old Eternity !”
I often have recalled that moon of magic,
That languid hush on quays and marts,
And then this confidence, so grim and tragic,
In the confessional of hearts.
– Roy Campbell, 1952
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal