007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
SPLEEN ET IDÉAL |
XLV RÉVERSIBILITÉ Ange plein de gaîté, connaissez-vous l’angoisse, La honte, les remords, les sanglots, les ennuis Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits Qui compriment le cœur comme un papier qu’on froisse ? Ange plein de gaîté, connaissez-vous l’angoisse ? Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine, Les poings crispés dans l’ombre et des larmes de fiel, Quand la Vengeance bat son infernal rappel, Et de nos facultés se fait le capitaine ? Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine ? Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres, Qui, le long des grands murs de l’hospice blafard, Comme des exilés, s’en vont d’un pied traînard, Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres ? Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres ? Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides, Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment De lire la secrète horreur du dévoûment Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avides ? Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides ? Ange plein de bonheur, de joie et de lumières, David mourant aurait demandé la santé Aux émanations de ton corps enchanté ; Mais de toi je n’implore, ange, que tes prières, Ange plein de bonheur, de joie et de lumières ! |
Réversibilité Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse, La honte, les remords, les sanglots, les ennuis, Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits Qui compriment le coeur comme un papier qu’on froisse ? Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse ? Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine, Les poings crispés dans l’ombre et les larmes de fiel, Quand la Vengeance bat son infernal rappel, Et de nos facultés se fait le capitaine ? Ange plein de bonté connaissez-vous la haine ? Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres, Qui, le long des grands murs de l’hospice blafard, Comme des exilés, s’en vont d’un pied traînard, Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres ? Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres ? Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides, Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment De lire la secrète horreur du dévouement Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avide ! Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides ? Ange plein de bonheur, de joie et de lumières, David mourant aurait demandé la santé Aux émanations de ton corps enchanté ; Mais de toi je n’implore, ange, que tes prières, Ange plein de bonheur, de joie et de lumières ! Reversibility Angel full of gaiety, do you know anguish, Shame, remorse, sobs, vexations, And the vague terrors of those frightful nights That compress the heart like a paper one crumples ? Angel full of gaiety, do you know anguish ? Angel full of kindness, do you know hatred, The clenched fists in the darkness and the tears of gall, When Vengeance beats out his hellish call to arms, And makes himself the captain of our faculties ? Angel full of kindness, do you know hatred ? Angel full of health, do you know Fever, Walking like an exile, moving with dragging steps, Along the high, wan walls of the charity ward, And with muttering lips seeking the rare sunlight ? Angel full of health, do you know Fever ? Angel full of beauty, do you know wrinkles, The fear of growing old, and the hideous torment Of reading in the eyes of her he once adored Horror at seeing love turning to devotion ? Angel full of beauty, do you know wrinkles ? Angel full of happiness, of joy and of light, David on his death-bed would have appealed for health To the emanations of your enchanted flesh ; But of you, angel, I beg only prayers, Angel full of happiness, of joy and of light ! – William Aggeler, 1954 Reversibility Angel of gaiety, have you known anguish, Shame and remorse, tears, boredom, and dismay, Vague horrors of the nights in which we languish, Which crumple hearts like papers thrown away ? Angel of gaiety, have you known anguish ? Angel of kindness, have you met with hate ? Fists clenched in gloom, eyes running tears of gall, When Vengeance beats his drum to subjugate Our faculties, the captain of them all ? Angel of kindness, have you met with hate ? Angel of health, have you beheld the Fevers ? Across pale walls of wards they limp and stumble, Like exiles wan, with agues, chills, and shivers, Seeking the scanty sun with lips that mumble. Angel of health, have you beheld the Fevers ? Angel of beauty, do you know Old Age, The fear of wrinkles, and the dire emotion, In eyes we’ve pierced too long, as on a page, To read the secret horror of devotion ? Angel of beauty do you know Old Age ? Angel of goodness, radiance, and delight, The dying David would have begged to share The emanations of your body bright. But all I wish to ask of you is prayer, Angel of goodness, radiance, and delight. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |