007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1857
SPLEEN ET IDÉAL
 
XXXIX

À CELLE QUI EST TROP GAIE

Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage ;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.

Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.

Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilettes
Jettent dans l’esprit des poètes
L’image d’un ballet de fleurs.

Ces robes folles sont l’emblême
De ton esprit bariolé ;
Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t’aime !

Quelquefois dans un beau jardin,
Où je traînais mon atonie,
J’ai senti comme une ironie
Le soleil déchirer mon sein ;

Et le printemps et la verdure
Ont tant humilié mon cœur
Que j’ai puni sur une fleur
L’insolence de la nature.

Ainsi, je voudrais, une nuit,
Quand l’heure des voluptés sonne,
Vers les trésors de ta personne
Comme un lâche ramper sans bruit,

Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse,

Et, vertigineuse douceur !
À travers ces lèvres nouvelles,
Plus éclatantes et plus belles,
T’infuser mon venin, ma sœur !
 
À Celle qui est trop gaie (1857)

Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage ;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.

Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.

Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilettes
Jettent dans l’esprit des poètes
L’image d’un ballet de fleurs.

Ces robes folles sont l’emblème
De ton esprit bariolé ;
Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t’aime !

Quelquefois dans un beau jardin
Où je traînais mon atonie,
J’ai senti, comme une ironie,
Le soleil déchirer mon sein,

Et le printemps et la verdure
Ont tant humilié mon coeur,
Que j’ai puni sur une fleur
L’insolence de la Nature.

Ainsi je voudrais, une nuit,
Quand l’heure des voluptés sonne,
Vers les trésors de ta personne,
Comme un lâche, ramper sans bruit,

Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse,

Et, vertigineuse douceur !
À travers ces lèvres nouvelles,
Plus éclatantes et plus belles,
T’infuser mon venin, ma soeur !





To One Who Is Too Gay

Your head, your bearing, your gestures
Are fair as a fair countryside ;
Laughter plays on your face
Like a cool wind in a clear sky.
The gloomy passer-by you meet
Is dazzled by the glow of health
Which radiates resplendently
From your arms and shoulders.
The touches of sonorous color
That you scatter on your dresses
Cast into the minds of poets
The image of a flower dance.
Those crazy frocks are the emblem
Of your multi-colored nature ;
Mad woman whom I’m mad about,
I hate and love you equally !
At times in a lovely garden
Where I dragged my atony,
I have felt the sun tear my breast,
As though it were in mockery ;
Both the springtime and its verdure
So mortified my heart
That I punished a flower
For the insolence of Nature.
Thus I should like, some night,
When the hour for pleasure sounds,
To creep softly, like a coward,
Toward the treasures of your body,
To whip your joyous flesh
And bruise your pardoned breast,
To make in your astonished flank
A wide and gaping wound,
And, intoxicating sweetness !
Through those new lips,
More bright, more beautiful,
To infuse my venom, my sister !
– William Aggeler, 1954


To One Who Is Too Gay

Your head, your gestures, and your air
Are lovely as a landscape ; smiles
Rimple upon your face at whiles
Like winds in the clear sky up there.
The grumpy passers that you graze
Are dazzled by the radiant health,
And the illimitable wealth
Your arms and shoulders seem to blaze.
The glaring colours that, in showers,
Clash in your clothes with such commotion,
In poets’ minds suggest the notion
Of a mad ballet-dance of flowers.
These garish dresses illustrate
Your spirit, striped with every fad.
O madwoman, whom, quite as mad,
I love as madly as I hate.
Sometimes in gardens, seeking rest,
Where I have dragged my soul atonic,
I’ve felt the sun with gaze ironic
Tearing the heart within my breast.
The spring and verdure, dressed to stagger,
Humiliate me with such power
That I have punished, in a flower,
The insolence of Nature’s swagger.
And so, one night, I’d like to sneak,
When night has tolled the hour of pleasure,
A craven thief, towards the treasure
Which is your person, plump and sleek.
To punish your bombastic flesh,
To bruise your breast immune to pain,
To farrow down your flank a lane
Of gaping crimson, deep and fresh.
And, most vertiginous delight !
Into those lips, so freshly striking
And daily lovelier to my liking –
Infuse the venom of my sprite.
– Roy Campbell, 1952
 
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal