007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1868
SPLEEN ET IDÉAL
XXXVIII

LE POSSÉDÉ

Le soleil s’est couvert d’un crêpe. Comme lui,
Ô Lune de ma vie ! emmitoufle-toi d’ombre ;
Dors ou fume à ton gré ; sois muette, sois sombre,
Et plonge tout entière au gouffre de l’Ennui ;

Je t’aime ainsi ! Pourtant, si tu veux aujourd’hui,
Comme un astre éclipsé qui sort de la pénombre,
Te pavaner aux lieux que la Folie encombre,
C’est bien ! Charmant poignard, jaillis de ton étui !

Allume ta prunelle à la flamme des lustres !
Allume le désir dans les regards des rustres !
Tout de toi m’est plaisir, morbide ou pétulant ;

Sois ce que tu voudras, nuit noire, rouge aurore ;
Il n’est pas une fibre en tout mon corps tremblant
Qui ne crie : Ô mon cher Belzébuth, je t’adore !
 
Le Possédé (1861)

Le soleil s’est couvert d’un crêpe. Comme lui,
Ô Lune de ma vie ! emmitoufle-toi d’ombre
Dors ou fume à ton gré ; sois muette, sois sombre,
Et plonge tout entière au gouffre de l’Ennui ;

Je t’aime ainsi ! Pourtant, si tu veux aujourd’hui,
Comme un astre éclipsé qui sort de la pénombre,
Te pavaner aux lieux que la Folie encombre
C’est bien ! Charmant poignard, jaillis de ton étui !

Allume ta prunelle à la flamme des lustres !
Allume le désir dans les regards des rustres !
Tout de toi m’est plaisir, morbide ou pétulant ;

Sois ce que tu voudras, nuit noire, rouge aurore ;
II n’est pas une fibre en tout mon corps tremblant
Qui ne crie : Ô mon cher Belzébuth, je t’adore !





The One Possessed

The sun was covered with a crape. Like him,
Moon of my life ! swathe yourself with darkness ;
Sleep or smoke as you will ; be silent, be somber,
And plunge your whole being into Ennui’s abyss ;
I love you thus ! However, if today you wish,
Like an eclipsed star that leaves the half-light,
To strut in the places which Madness encumbers,
That is fine ! Charming poniard spring out of your sheath !
Light your eyes at the flame of the lusters !
Kindle passion in the glances of churls !
To me you’re all pleasure, morbid or petulant ;
Be what you will, black night, red dawn ;
There is no fiber in my whole trembling body
That does not cry : “Dear Beelzebub, I adore you !”
– William Aggeler, 1954


The Possessed

The sun in crepe has muffled up his fire.
Moon of my life ! Half shade yourself like him.
Slumber or smoke. Be silent and be dim,
And in the gulf of boredom plunge entire ;
I love you thus ! However, if you like,
Like some bright star from its eclipse emerging,
To flaunt with Folly where the crowds are surging –
Flash, lovely dagger, from your sheath and strike !
Light up your eyes from chandeliers of glass !
Light up the lustful looks of louts that pass !
Morbid or petulant, I thrill before you.
Be what you will, black night or crimson dawn ;
No fibre of my body tautly-drawn,
But cries : “Beloved demon, I adore you !”
– Roy Campbell, 1952
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal