007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1868
SPLEEN ET IDÉAL
XXXVII

LE BALCON

Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,
Ô toi, tous mes plaisirs ! ô toi, tous mes devoirs !
Tu te rappelleras la beauté des caresses,
La douceur du foyer et le charme des soirs,
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses !

Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon,
Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses.
Que ton sein m’était doux ! que ton cœur m’était bon !
Nous avons dit souvent d’impérissables choses
Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon.

Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !
Que l’espace est profond ! que le cœur est puissant !
En me penchant vers toi, reine des adorées,
Je croyais respirer le parfum de ton sang.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !

La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison,
Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,
Et je buvais ton souffle, ô douceur, ô poison !
Et tes pieds s’endormaient dans mes mains fraternelles.
La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison.

Je sais l’art d’évoquer les minutes heureuses,
Et revis mon passé blotti dans tes genoux.
Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses
Ailleurs qu’en ton cher corps et qu’en ton cœur si doux ?
Je sais l’art d’évoquer les minutes heureuses !

Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,
Renaîtront-ils d’un gouffre interdit à nos sondes,
Comme montent au ciel les soleils rajeunis
Après s’être lavés au fond des mers profondes ?
— Ô serments ! ô parfums ! ô baisers infinis !
 
Le Balcon

Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,
Ô toi, tous mes plaisirs ! ô toi, tous mes devoirs !
Tu te rappelleras la beauté des caresses,
La douceur du foyer et le charme des soirs,
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses !

Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon,
Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses.
Que ton sein m’était doux ! que ton coeur m’était bon !
Nous avons dit souvent d’impérissables choses
Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon.

Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !
Que l’espace est profond ! que le coeur est puissant !
En me penchant vers toi, reine des adorées,
Je croyais respirer le parfum de ton sang.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !

La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison,
Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,
Et je buvais ton souffle, ô douceur ! ô poison !
Et tes pieds s’endormaient dans mes mains fraternelles.
La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison.

Je sais l’art d’évoquer les minutes heureuses,
Et revis mon passé blotti dans tes genoux.
Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses
Ailleurs qu’en ton cher corps et qu’en ton coeur si doux ?
Je sais l’art d’évoquer les minutes heureuses !

Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,
Renaîtront-ils d’un gouffre interdit à nos sondes,
Comme montent au ciel les soleils rajeunis
Après s’être lavés au fond des mers profondes ?
– Ô serments ! ô parfums ! ô baisers infinis !




The Balcony

Mother of memories, mistress of mistresses,
O you, all my pleasure, O you, all my duty !
You’ll remember the sweetness of our caresses,
The peace of the fireside, the charm of the evenings.
Mother of memories, mistress of mistresses !
The evenings lighted by the glow of the coals,
The evenings on the balcony, veiled with rose mist ;
How soft your breast was to me! how kind was your heart !
We often said imperishable things,
The evenings lighted by the glow of the coals.
How splendid the sunsets are on warm evenings !
How deep space is ! how potent is the heart !
In bending over you, queen of adored women,
I thought I breathed the perfume in your blood.
How splendid the sunsets are on warm evenings !
The night was growing dense like an encircling wall,
My eyes in the darkness felt the fire of your gaze
And I drank in your breath, O sweetness, O poison !
And your feet nestled soft in my brotherly hands.
The night was growing dense like an encircling wall.
I know the art of evoking happy moments,
And live again our past, my head laid on your knees,
For what’s the good of seeking your languid beauty
Elsewhere than in your dear body and gentle heart ?
I know the art of evoking happy moments.
Those vows, those perfumes, those infinite kisses,
Will they be reborn from a gulf we may not sound,
As rejuvenated suns rise in the heavens
After being bathed in the depths of deep seas ?
– O vows ! O perfumes ! O infinite kisses !
– William Aggeler, 1954


The Balcony

Mother of memories, queen of paramours,
Yourself are all my pleasure, all my duty ;
You will recall caresses that were yours
And fireside evenings in their warmth and beauty.
Mother of memories, queen of paramours.
On eves illumined by the light of coal,
The balcony beneath a rose-veiled sky,
Your breast how soft ! Your heart how good and whole !
We spoke eternal things that cannot die –
On eves illumined by the light of coal !
How splendid sets the sun of a warm evening !
How deep is space ! the heart how full of power !
When, queen of the adored, towards you leaning,
I breathed the perfume of your blood in flower.
How splendid sets the sun of a warm evening !
The evening like an alcove seemed to thicken,
And as my eyes astrologised your own,
Drinking your breath, I felt sweet poisons quicken,
And in my hands your feet slept still as stone.
The evening like an alcove seemed to thicken.
I know how to resuscitate dead minutes.
I see my past, its face hid in your knees.
How can I seek your languorous charm save in its
Own source, your heart and body formed to please.
I know how to resuscitate dead minutes.
These vows, these perfumes, and these countless kisses,
Reborn from gulfs that we could never sound,
Will they, like suns, once bathed in those abysses,
Rejuvenated from the deep, rebound –
These vows, these perfumes, and these countless kisses ?
– Roy Campbell, 1952
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal