007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
SPLEEN ET IDÉAL |
XXXII LE VAMPIRE Toi qui, comme un coup de couteau, Dans mon cœur plaintif est entrée ; Toi qui, forte comme un troupeau De démons, vins, folle et parée, De mon esprit humilié Faire ton lit et ton domaine ; — Infâme à qui je suis lié Comme le forçat à la chaîne, Comme au jeu le joueur têtu, Comme à la bouteille l’ivrogne, Comme aux vermines la charogne, — Maudite, maudite sois-tu ! J’ai prié le glaive rapide De conquérir ma liberté, Et j’ai dit au poison perfide De secourir ma lâcheté. Hélas ! le poison et le glaive M’ont pris en dédain et m’ont dit : « Tu n’es pas digne qu’on t’enlève À ton esclavage maudit, Imbécile ! — de son empire Si nos efforts te délivraient, Tes baisers ressusciteraient Le cadavre de ton vampire ! » |
Le Vampire Toi qui, comme un coup de couteau, Dans mon coeur plaintif es entrée ; Toi qui, forte comme un troupeau De démons, vins, folle et parée, De mon esprit humilié Faire ton lit et ton domaine ; – Infâme à qui je suis lié Comme le forçat à la chaîne, Comme au jeu le joueur têtu, Comme à la bouteille l’ivrogne, Comme aux vermines la charogne – Maudite, maudite sois-tu ! J’ai prié le glaive rapide De conquérir ma liberté, Et j’ai dit au poison perfide De secourir ma lâcheté. Hélas ! le poison et le glaive M’ont pris en dédain et m’ont dit : « Tu n’es pas digne qu’on t’enlève À ton esclavage maudit, Imbécile ! – de son empire Si nos efforts te délivraient, Tes baisers ressusciteraient Le cadavre de ton vampire ! » The Vampire You who, like the stab of a knife, Entered my plaintive heart ; You who, strong as a herd Of demons, came, ardent and adorned, To make your bed and your domain Of my humiliated mind – Infamous bitch to whom I’m bound Like the convict to his chain, Like the stubborn gambler to the game, Like the drunkard to his wine, Like the maggots to the corpse, – Accurst, accurst be you ! I begged the swift poniard To gain for me my liberty, I asked perfidious poison To give aid to my cowardice. Alas ! both poison and the knife Contemptuously said to me : “You do not deserve to be freed From your accursed slavery, Fool ! – if from her domination Our efforts could deliver you, Your kisses would resuscitate The cadaver of your vampire !” – William Aggeler, 1954 The Vampire |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |