007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
SPLEEN ET IDÉAL |
XXIV LA CHEVELURE Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure ! Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure Des souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir ! La langoureuse Asie et la brûlante Afrique, Tout un monde lointain, absent, presque défunt, Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique ! Comme d’autres esprits voguent sur la musique, Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum. J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève, Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ; Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève ! Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts : Un port retentissant où mon âme peut boire À grands flots le parfum, le son et la couleur ; Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire, Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur. Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ; Et mon esprit subtil que le roulis caresse Saura vous retrouver, ô féconde paresse, Infinis bercements du loisir embaumé ! Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues, Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ; Sur les bords duvetés de vos mèches tordues Je m’enivre ardemment des senteurs confondues De l’huile de coco, du musc et du goudron. Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde Sèmera le rubis, la perle et le saphir, Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde ! N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde Où je hume à longs traits le vin du souvenir ? |
La Chevelure Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure ! Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure Des souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir ! La langoureuse Asie et la brûlante Afrique, Tout un monde lointain, absent, presque défunt, Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique ! Comme d’autres esprits voguent sur la musique, Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum. J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève, Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ; Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève ! Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts : Un port retentissant où mon âme peut boire À grands flots le parfum, le son et la couleur Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur. Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ; Et mon esprit subtil que le roulis caresse Saura vous retrouver, ô féconde paresse, Infinis bercements du loisir embaumé ! Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ; Sur les bords duvetés de vos mèches tordues Je m’enivre ardemment des senteurs confondues De l’huile de coco, du musc et du goudron. Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde Sèmera le rubis, la perle et le saphir, Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde ! N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde Où je hume à longs traits le vin du souvenir ? Head of Hair O fleecy hair, falling in curls to the shoulders ! O black locks ! O perfume laden with nonchalance ! Ecstasy ! To people the dark alcove tonight With memories sleeping in that thick head of hair. I would like to shake it in the air like a scarf ! Sweltering Africa and languorous Asia, A whole far-away world, absent, almost defunct, Dwells in your depths, aromatic forest ! While other spirits glide on the wings of music, Mine, O my love ! floats upon your perfume. I shall go there, where trees and men, full of vigor, Are plunged in a deep swoon by the heat of the land ; Heady tresses be the billows that carry me away ! Ebony sea, you hold a dazzling dream Of rigging, of rowers, of pennons and of masts : A clamorous harbor where my spirit can drink In great draughts the perfume, the sound and the color ; Where the vessels gliding through the gold and the moire Open wide their vast arms to embrace the glory Of a clear sky shimmering with everlasting heat. I shall bury my head enamored with rapture In this black sea where the other is imprisoned ; And my subtle spirit caressed by the rolling Will find you once again, O fruitful indolence, Endless lulling of sweet-scented leisure ! Blue-black hair, pavilion hung with shadows, You give back to me the blue of the vast round sky ; In the downy edges of your curling tresses I ardently get drunk with the mingled odors Of oil of coconut, of musk and tar. A long time ! Forever ! my hand in your thick mane Will scatter sapphires, rubies and pearls, So that you will never be deaf to my desire ! Aren’t you the oasis of which I dream, the gourd From which I drink deeply, the wine of memory ? – William Aggeler, 1954 Her Hair O fleece that down her nape rolls, plume on plume ! O curls ! O scent of nonchalance and ease ! What ecstasy ! To populate this room With memories it harbours in its gloom, I’d shake it like a banner on the breeze. Hot Africa and languid Asia play (An absent world, defunct, and far away) Within that scented forest, dark and dim. As other souls on waves of music swim, Mine on its perfume sails, as on the spray. I’ll journey there, where man and sap-filled tree Swoon in hot light for hours. Be you my sea, Strong tresses ! Be the breakers and gales That waft me. Your black river holds, for me, A dream of masts and rowers, flames and sails. A port, resounding there, my soul delivers With long deep draughts of perfumes, scent, and clamour, Where ships, that glide through gold and purple rivers, Fling wide their vast arms to embrace the glamour Of skies wherein the heat forever quivers. I’ll plunge my head in it, half drunk with pleasure – In this black ocean that engulfs her form. My soul, caressed with wavelets there may measure Infinite rocking in embalmed leisure, Creative idleness that fears no storm ! Blue tresses, like a shadow-stretching tent, You shed the blue of heavens round and far. Along its downy fringes as I went I reeled half-drunken to confuse the scent Of oil of coconuts, with musk and tar. My hand forever in your mane so dense, Rubies and pearls and sapphires there will sow, That you to my desire be never slow – Oasis of my dreams, and gourd from whence Deep-draughted wines of memory will flow. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |