007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1857 |
SPLEEN ET IDÉAL |
XX LES BIJOUX La très-chère était nue, et, connaissant mon cœur, Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores, Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures. Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur, Ce monde rayonnant de métal et de pierre Me ravit en extase, et j’aime avec fureur Les choses où le son se mêle à la lumière. Elle était donc couchée, et se laissait aimer, Et du haut du divan elle souriait d’aise À mon amour profond et doux comme la mer Qui vers elle montait comme vers sa falaise. Les yeux fixés sur moi, comme un tigre dompté, D’un air vague et rêveur elle essayait des poses, Et la candeur unie à la lubricité Donnait un charme neuf à ses métamorphoses. Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins, Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne, Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ; Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne, S’avançaient plus câlins que les anges du mal, Pour troubler le repos où mon âme était mise, Et pour la déranger du rocher de cristal, Où calme et solitaire elle s’était assise. Je croyais voir unis par un nouveau dessin Les hanches de l’Antiope au buste d’un imberbe, Tant sa taille faisait ressortir son bassin. Sur ce teint fauve et brun le fard était superbe ! — Et la lampe s’étant résignée à mourir, Comme le foyer seul illuminait la chambre, Chaque fois qu’il poussait un flamboyant soupir, Il inondait de sang cette peau couleur d’ambre ! |
Les Bijoux La très chère était nue, et, connaissant mon coeur, Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores, Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Mores. Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur, Ce monde rayonnant de métal et de pierre Me ravit en extase, et j’aime à la fureur Les choses où le son se mêle à la lumière. Elle était donc couchée et se laissait aimer, Et du haut du divan elle souriait d’aise À mon amour profond et doux comme la mer, Qui vers elle montait comme vers sa falaise. Les yeux fixés sur moi, comme un tigre dompté, D’un air vague et rêveur elle essayait des poses, Et la candeur unie à la lubricité Donnait un charme neuf à ses métamorphoses ; Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins, Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne, Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ; Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne, S’avançaient, plus câlins que les Anges du mal, Pour troubler le repos où mon âme était mise, Et pour la déranger du rocher de cristal Où, calme et solitaire, elle s’était assise. Je croyais voir unis par un nouveau dessin Les hanches de l’Antiope au buste d’un imberbe, Tant sa taille faisait ressortir son bassin. Sur ce teint fauve et brun, le fard était superbe ! – Et la lampe s’étant résignée à mourir, Comme le foyer seul illuminait la chambre Chaque fois qu’il poussait un flamboyant soupir, Il inondait de sang cette peau couleur d’ambre ! The Jewels My darling was naked, and knowing my heart well, She was wearing only her sonorous jewels, Whose opulent display made her look triumphant Like Moorish concubines on their fortunate days. When it dances and flings its lively, mocking sound, This radiant world of metal and of gems Transports me with delight ; I passionately love All things in which sound is mingled with light. She had lain down ; and let herself be loved From the top of the couch she smiled contentedly Upon my love, deep and gentle as the sea, Which rose toward her as toward a cliff. Her eyes fixed upon me, like a tamed tigress, With a vague, dreamy air she was trying poses, And by blending candor with lechery, Her metamorphoses took on a novel charm ; And her arm and her leg, and her thigh and her loins, Shiny as oil, sinuous as a swan, Passed in front of my eyes, clear-sighted and serene ; And her belly, her breasts, grapes of my vine, Advanced, more cajoling than angels of evil, To trouble the quiet that had possessed my soul, To dislodge her from the crag of crystal, Where calm and alone she had taken her seat. I thought I saw blended in a novel design Antiope’s haunches and the breast of a boy, Her waist set off so well the fullness of her hips. On that tawny brown skin the rouge stood out superb ! – And when at last the lamp allowed itself to die, Since the fire alone lighted the room, Each time that it uttered a flaming sigh, It drenched with blood that amber colored skin ! – William Aggeler, 1954 The Jewels My well-beloved was stripped. Knowing my whim, She wore her tinkling gems, but naught besides : And showed such pride as, while her luck betides, A sultan’s favoured slave may show to him. When it lets off its lively, crackling sound, This blazing blend of metal crossed with stone, Gives me an ecstasy I’ve only known Where league of sound and lustre can be found. She let herself be loved : then, drowsy-eyed, Smiled down from her high couch in languid ease. My love was deep and gentle as the seas And rose to her as to a cliff the tide. My own approval of each dreamy pose, Like a tarned tiger, cunningly she sighted : And candour, with lubricity united, Gave piquancy to every one she chose, Her limbs and hips, burnished with changing lustres, Before my eyes clairvoyant and serene, Swarmed themselves, undulating in their sheen ; Her breasts and belly, of my vine the clusters, Like evil angels rose, my fancy twitting, To kill the peace which over me she’d thrown, And to disturb her from the crystal throne Where, calm and solitary, she was sitting. So swerved her pelvis that, in one design, Antiope’s white rump it seemed to graft To a boy’s torso, merging fore and aft. The talc on her brown tan seemed half-divine. The lamp resigned its dying flame.Within, The hearth alone lit up the darkened air, And every time it sighed a crimson flare It drowned in blood that amber-coloured skin. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |