007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
SPLEEN ET IDÉAL |
XX LA GÉANTE Du temps que la Nature en sa verve puissante Concevait chaque jour des enfants monstrueux, J’eusse aimé vivre auprès d’une jeune géante, Comme aux pieds d’une reine un chat voluptueux. J’eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme Et grandir librement dans ses terribles jeux ; Deviner si son cœur couve une sombre flamme Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux ; Parcourir à loisir ses magnifiques formes ; Ramper sur le versant de ses genoux énormes, Et parfois en été, quand les soleils malsains, Lasse, la font s’étendre à travers la campagne, Dormir nonchalamment à l’ombre de ses seins, Comme un hameau paisible au pied d’une montagne. |
La Géante Du temps que la Nature en sa verve puissante Concevait chaque jour des enfants monstrueux, J’eusse aimé vivre auprès d’une jeune géante, Comme aux pieds d’une reine un chat voluptueux. J’eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme Et grandir librement dans ses terribles jeux ; Deviner si son coeur couve une sombre flamme Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux ; Parcourir à loisir ses magnifiques formes ; Ramper sur le versant de ses genoux énormes, Et parfois en été, quand les soleils malsains, Lasse, la font s’étendre à travers la campagne, Dormir nonchalamment à l’ombre de ses seins, Comme un hameau paisible au pied d’une montagne. The Giantess At the time when Nature with a lusty spirit Was conceiving monstrous children each day, I should have liked to live near a young giantess, Like a voluptuous cat at the feet of a queen. I should have liked to see her soul and body thrive And grow without restraint in her terrible games ; To divine by the mist swimming within her eyes If her heart harbored a smoldering flame ; To explore leisurely her magnificent form ; To crawl upon the slopes of her enormous knees, And sometimes in summer, when the unhealthy sun Makes her stretch out, weary, across the countryside, To sleep nonchalantly in the shade of her breasts, Like a peaceful hamlet below a mountainside. – William Aggeler, 1954 The Giantess Of old when Nature, in her verve defiant, Conceived each day some birth of monstrous mien, I would have lived near some young female giant Like a voluptuous cat beside a queen ; To see her body flowering with her soul Freely develop in her mighty games, And in the mists that through her gaze would roll Guess that her heart was hatching sombre flames ; To roam her mighty contours as I please, Ramp on the cliff of her tremendous knees, And in the solstice, when the suns that kill Make her stretch out across the land and rest, To sleep beneath the shadow of her breast Like a hushed village underneath a hill. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |