007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1868
SPLEEN ET IDÉAL
XVIII

LA BEAUTÉ

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poëte un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;
J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes ;
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poëtes, devant mes grandes attitudes,
Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d’austères études ;

Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !
 
La Beauté

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;
J’unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d’austères études ;

Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !



Beauty

I am fair, O mortals ! like a dream carved in stone,
And my breast where each one in turn has bruised himself
Is made to inspire in the poet a love
As eternal and silent as matter.
On a throne in the sky, a mysterious sphinx,
I join a heart of snow to the whiteness of swans ;
I hate movement for it displaces lines,
And never do I weep and never do I laugh.
Poets, before my grandiose poses,
Which I seem to assume from the proudest statues,
Will consume their lives in austere study ;
For I have, to enchant those submissive lovers,
Pure mirrors that make all things more beautiful :
My eyes, my large, wide eyes of eternal brightness !
– William Aggeler, 1954


Beauty

I’m fair, O mortals, as a dream of stone ;
My breasts whereon, in turn, your wrecks you shatter,
Were made to wake in poets’ hearts alone
A love as indestructible as matter.
A sky-throned sphinx, unknown yet, I combine
The cygnet’s whiteness with a heart of snow.
I loathe all movement that displaces line,
And neither tears nor laughter do I know.
Poets before my postures, which I seem
To learn from masterpieces, love to dream
And there in austere thought consume their days.
I have, these docile lovers to subject,
Mirrors that glorify all they reflect –
These eyes, great eyes, eternal in their blaze !
– Roy Campbell, 1952
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal