007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
SPLEEN ET IDÉAL |
XVII CHÂTIMENT DE L’ORGUEIL En ces temps merveilleux où la Théologie Fleurit avec le plus de séve et d’énergie, On raconte qu’un jour un docteur des plus grands, — Après avoir forcé les cœurs indifférents, Les avoir remués dans leurs profondeurs noires ; Après avoir franchi vers les célestes gloires Des chemins singuliers à lui-même inconnus, Où les purs Esprits seuls peut-être étaient venus, — Comme un homme monté trop haut, pris de panique, — S’écria, transporté d’un orgueil satanique : « Jésus, petit Jésus ! je t’ai poussé bien haut ! Mais, si j’avais voulu t’attaquer au défaut De l’armure, ta honte égalerait ta gloire, Et tu ne serais plus qu’un fœtus dérisoire ! » Immédiatement sa raison s’en alla. L’éclat de ce soleil d’un crêpe se voila ; Tout le chaos roula dans cette intelligence, Temple autrefois vivant, plein d’ordre et d’opulence, Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui. Le silence et la nuit s’installèrent en lui, Comme dans un caveau dont la clef est perdue. Dès lors il fut semblable aux bêtes de la rue, Et, quand il s’en allait sans rien voir, à travers Les champs, sans distinguer les étés des hivers, Sale, inutile et laid comme une chose usée, Il faisait des enfants la joie et la risée. |
Châtiment de l’Orgueil En ces temps merveilleux où la Théologie Fleurit avec le plus de sève et d’énergie, On raconte qu’un jour un docteur des plus grands, – Après avoir forcé les coeurs indifférents ; Les avoir remués dans leurs profondeurs noires ; Après avoir franchi vers les célestes gloires Des chemins singuliers à lui-même inconnus, Où les purs Esprits seuls peut-être étaient venus, – Comme un homme monté trop haut, pris de panique, S’écria, transporté d’un orgueil satanique : « Jésus, petit Jésus ! je t’ai poussé bien haut ! Mais, si j’avais voulu t’attaquer au défaut De l’armure, ta honte égalerait ta gloire, Et tu ne serais plus qu’un foetus dérisoire ! » Immédiatement sa raison s’en alla. L’éclat de ce soleil d’un crêpe se voila Tout le chaos roula dans cette intelligence, Temple autrefois vivant, plein d’ordre et d’opulence, Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui. Le silence et la nuit s’installèrent en lui, Comme dans un caveau dont la clef est perdue. Dès lors il fut semblable aux bêtes de la rue, Et, quand il s’en allait sans rien voir, à travers Les champs, sans distinguer les étés des hivers, Sale, inutile et laid comme une chose usée, Il faisait des enfants la joie et la risée. Punishment for Pride In that marvelous time in which Theology Flourished with the greatest energy and vigor, It is said that one day a most learned doctor – After winning by force the indifferent hearts, Having stirred them in the dark depths of their being ; After crossing on the way to celestial glory, Singular and strange roads, even to him unknown, Which only pure Spirits, perhaps, had reached, – Panic-stricken, like one who has clambered too high, He cried, carried away by a satanic pride : “Jesus, little jesus ! I raised you very high ! But had I wished to attack you through the defect In your armor, your shame would equal your glory, And you would be no more than a despised fetus !” At that very moment his reason departed. A crape of mourning veiled the brilliance of that sun ; Complete chaos rolled in and filled that intellect, A temple once alive, ordered and opulent, Within whose walls so much pomp had glittered. Silence and darkness took possession of it Like a cellar to which the key is lost. Henceforth he was like the beasts in the street, And when he went along, seeing nothing, across The fields, distinguishing nor summer nor winter, Dirty, useless, ugly, like a discarded thing, He was the laughing-stock, the joke, of the children. – William Aggeler, 1954 The Punishment of Pride When first Theology in her young prime Flourished with vigour, in that wondrous time, Of an illustrious Doctor it was said That, having forced indifferent hearts to shed Tears of emotion, moved to depths profound : And having to celestial glory found Marvellous paths, to his own self unknown, Where only purest souls had fared alone – Like a man raised too high, as in a panic, Crazed with a vertigo of pride satanic, He cried “Poor Christ, I’ve raised you to renown ! But had I wished to bring you crashing down Probing your flaws, your shame would match your pride And you’d be but a foetus to deride !” Immediately he felt his wits escape, That flash of sunlight veiled itself in crepe. All chaos through his intellect was rolled, A temple once, containing hoards of gold, By opulence and order well controlled, And topped with ceilings splendid to behold. Silence and night installed their reign in him. It seemed he was a cellar dank and dim, To which no living man could find the key ; And from that day a very beast was he. And while he wandered senseless on his way, Not knowing spring from summer, night from day, Foul, dirty, useless, and with no hereafter, He served the children as a butt for laughter. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |