007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1868
SPLEEN ET IDÉAL
XIII

BOHÉMIENS EN VOYAGE

La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s’est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.

Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L’empire familier des ténèbres futures.
 
Bohémiens en voyage

La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s’est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.

Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L’empire familier des ténèbres futures.



Gypsies Traveling

The prophetical tribe, that ardent eyed people,
Set out last night, carrying their children
On their backs, or yielding to those fierce appetites
The ever ready treasure of pendulous breasts.
The men travel on foot with their gleaming weapons
Alongside the wagons where their kin are huddled,
Surveying the heavens with eyes rendered heavy
By a mournful regret for vanished illusions.
The cricket from the depths of his sandy retreat
Watches them as they pass, and louder grows his song ;
Cybele, who loves them, increases her verdure,
Makes the desert blossom, water spurt from the rock
Before these travelers for whom is opened wide
The familiar domain of the future’s darkness.
– William Aggeler, 1954


Gipsies on the Road

The tribe of seers, last night, began its march
With burning eyes, and shouldering its young
To whose ferocious appetites it swung
The wealth of hanging breasts that nought can parch.
The men, their weapons glinting in the rays,
Walk by the convoy where their folks are carted,
Sweeping the far-off skylines with a gaze
Regretful of Chimeras long-departed.
Out of his hole the cricket sees them pass
And sings the louder. Greener grows the grass
Because Cybele loves them, and has made
The barren rock to gush, the sands to flower,
To greet these travellers, before whose power
Familiar futures open realms of shade.
– Roy Campbell, 1952
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal