007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
SPLEEN ET IDÉAL |
XII LA VIE ANTÉRIEURE J’ai longtemps habité sous de vastes portiques Que les soleils marins teignaient de mille feux, Et que leurs grands piliers, droits et majestueux, Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques. Les houles, en roulant les images des cieux, Mêlaient d’une façon solennelle et mystique Les tout-puissants accords de leur riche musique Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux. C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes, Au milieu de l’azur, des vagues, des splendeurs Et des esclaves nus, tout imprégnés d’odeurs, Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes, Et dont l’unique soin était d’approfondir Le secret douloureux qui me faisait languir. |
La Vie antérieure J’ai longtemps habité sous de vastes portiques Que les soleils marins teignaient de mille feux, Et que leurs grands piliers, droits et majestueux, Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques. Les houles, en roulant les images des cieux, Mêlaient d’une façon solennelle et mystique Les tout-puissants accords de leur riche musique Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux. C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes, Au milieu de l’azur, des vagues, des splendeurs Et des esclaves nus, tout imprégnés d’odeurs, Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes, Et dont l’unique soin était d’approfondir Le secret douloureux qui me faisait languir. My Former Life For a long time I dwelt under vast porticos Which the ocean suns lit with a thousand colors, The pillars of which, tall, straight, and majestic, Made them, in the evening, like basaltic grottos. The billows which cradled the image of the sky Mingled, in a solemn, mystical way, The omnipotent chords of their rich harmonies With the sunsets’ colors reflected in my eyes ; It was there that I lived in voluptuous calm, In splendor, between the azure and the sea, And I was attended by slaves, naked, perfumed, Who fanned my brow with fronds of palms And whose sole task it was to fathom The dolorous secret that made me pine away. – William Aggeler, 1954 Former Life I’ve lived beneath huge portals where marine Suns coloured, with a myriad fires, the waves ; At eve majestic pillars made the scene Resemble those of vast basaltic caves. The breakers, rolling the reflected skies, Mixed, in a solemn, enigmatic way, The powerful symphonies they seem to play With colours of the sunset in my eyes. There did I live in a voluptuous calm Where breezes, waves, and splendours roved as vagrants ; And naked slaves, impregnated with fragrance, Would fan my forehead with their fronds of palm : Their only charge was to increase the anguish Of secret grief in which I loved to languish. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |