007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
SPLEEN ET IDÉAL |
X L’ENNEMI Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage, Traversé çà et là par de brillants soleils ; Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage, Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils. Voilà que j’ai touché l’automne des idées, Et qu’il faut employer la pelle et les râteaux Pour rassembler à neuf les terres inondées, Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux. Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve Trouveront dans ce sol lavé comme une grève Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ? — Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie, Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur Du sang que nous perdons croît et se fortifie ! |
L’Ennemi Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage, Traversé çà et là par de brillants soleils ; Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage, Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils. Voilà que j’ai touché l’automne des idées, Et qu’il faut employer la pelle et les râteaux Pour rassembler à neuf les terres inondées, Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux. Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve Trouveront dans ce sol lavé comme une grève Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ? – Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie, Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le coeur Du sang que nous perdons croît et se fortifie ! The Enemy My youth has been nothing but a tenebrous storm, Pierced now and then by rays of brilliant sunshine ; Thunder and rain have wrought so much havoc That very few ripe fruits remain in my garden. I have already reached the autumn of the mind, And I must set to work with the spade and the rake To gather back the inundated soil In which the rain digs holes as big as graves. And who knows whether the new flowers I dream of Will find in this earth washed bare like the strand, The mystic aliment that would give them vigor ? Alas ! Alas ! Time eats away our lives, And the hidden Enemy who gnaws at our hearts Grows by drawing strength from the blood we lose ! – William Aggeler, 1954 The Enemy My youth was but a tempest, dark and savage, Through which, at times, a dazzling sun would shoot The thunder and the rain have made such ravage My garden is nigh bare of rosy fruit. Now I have reached the Autumn of my thought, And spade and rake must toil the land to save, That fragments of my flooded fields be sought From where the water sluices out a grave. Who knows if the new flowers my dreams prefigure, In this washed soil should find, as by a sluit, The mystic nourishment to give them vigour ? Time swallows up our life, O ruthless rigour ! And the dark foe that nibbles our heart’s root, Grows on our blood the stronger and the bigger ! – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |