007 Livre Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal 1868 |
PRÉFACE |
La sottise, l’erreur, le péché, la lésine, Occupent nos esprits et travaillent nos corps, Et nous alimentons nos aimables remords, Comme les mendiants nourrissent leur vermine. Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ; Nous nous faisons payer grassement nos aveux, Et nous rentrons gaîment dans le chemin bourbeux, Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches. Sur l’oreiller du mal c’est Satan Trismégiste Qui berce longuement notre esprit enchanté, Et le riche métal de notre volonté Est tout vaporisé par ce savant chimiste. C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent ! Aux objets répugnants nous trouvons des appas ; Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas, Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent. Ainsi qu’un débauché pauvre qui baise et mange Le sein martyrisé d’une antique catin, Nous volons au passage un plaisir clandestin Que nous pressons bien fort comme une vieille orange. Serré, fourmillant, comme un million d’helminthes, Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons, Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes. Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie, N’ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins Le canevas banal de nos piteux destins, C’est que notre âme, hélas ! n’est pas assez hardie. Mais parmi les chacals, les panthères, les lices, Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents, Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants, Dans la ménagerie infâme de nos vices, Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde ! Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris, Il ferait volontiers de la terre un débris Et dans un bâillement avalerait le monde ; C’est l’Ennui ! — L’œil chargé d’un pleur involontaire, Il rêve d’échafauds en fumant son houka. Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat, — Hypocrite lecteur, — mon semblable, — mon frère ! |
Au Lecteur La sottise, l’erreur, le péché, la lésine, Occupent nos esprits et travaillent nos corps, Et nous alimentons nos aimables remords, Comme les mendiants nourrissent leur vermine. Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ; Nous nous faisons payer grassement nos aveux, Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux, Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches. Sur l’oreiller du mal c’est Satan Trismégiste Qui berce longuement notre esprit enchanté, Et le riche métal de notre volonté Est tout vaporisé par ce savant chimiste. C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent ! Aux objets répugnants nous trouvons des appas ; Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas, Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent. Ainsi qu’un débauché pauvre qui baise et mange Le sein martyrisé d’une antique catin, Nous volons au passage un plaisir clandestin Que nous pressons bien fort comme une vieille orange. Serré, fourmillant, comme un million d’helminthes, Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons, Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes. Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie, N’ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins Le canevas banal de nos piteux destins, C’est que notre âme, hélas ! n’est pas assez hardie. Mais parmi les chacals, les panthères, les lices, Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents, Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants, Dans la ménagerie infâme de nos vices, II en est un plus laid, plus méchant, plus immonde ! Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris, Il ferait volontiers de la terre un débris Et dans un bâillement avalerait le monde ; C’est l’Ennui ! L’oeil chargé d’un pleur involontaire, II rêve d’échafauds en fumant son houka. Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat, – Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère ! To the Reader Folly, error, sin, avarice Occupy our minds and labor our bodies, And we feed our pleasant remorse As beggars nourish their vermin. Our sins are obstinate, our repentance is faint ; We exact a high price for our confessions, And we gaily return to the miry path, Believing that base tears wash away all our stains. On the pillow of evil Satan, Trismegist, Incessantly lulls our enchanted minds, And the noble metal of our will Is wholly vaporized by this wise alchemist. The Devil holds the strings which move us ! In repugnant things we discover charms ; Every day we descend a step further toward Hell, Without horror, through gloom that stinks. Like a penniless rake who with kisses and bites Tortures the breast of an old prostitute, We steal as we pass by a clandestine pleasure That we squeeze very hard like a dried up orange. Serried, swarming, like a million maggots, A legion of Demons carouses in our brains, And when we breathe, Death, that unseen river, Descends into our lungs with muffled wails. If rape, poison, daggers, arson Have not yet embroidered with their pleasing designs The banal canvas of our pitiable lives, It is because our souls have not enough boldness. But among the jackals, the panthers, the bitch hounds, The apes, the scorpions, the vultures, the serpents, The yelping, howling, growling, crawling monsters, In the filthy menagerie of our vices, There is one more ugly, more wicked, more filthy ! Although he makes neither great gestures nor great cries, He would willingly make of the earth a shambles And, in a yawn, swallow the world ; He is Ennui ! – His eye watery as though with tears, He dreams of scaffolds as he smokes his hookah pipe. You know him reader, that refined monster, – Hypocritish reader, – my fellow, – my brother ! – William Aggeler, 1954 To the Reader Folly and error, avarice and vice, Employ our souls and waste our bodies’ force. As mangey beggars incubate their lice, We nourish our innocuous remorse. Our sins are stubborn, craven our repentance. For our weak vows we ask excessive prices. Trusting our tears will wash away the sentence, We sneak off where the muddy road entices. Cradled in evil, that Thrice-Great Magician, The Devil, rocks our souls, that can’t resist ; And the rich metal of our own volition Is vaporised by that sage alchemist. The Devil pulls the strings by which we’re worked : By all revolting objects lured, we slink Hellwards ; each day down one more step we’re jerked Feeling no horror, through the shades that stink. Just as a lustful pauper bites and kisses The scarred and shrivelled breast of an old whore, We steal, along the roadside, furtive blisses, Squeezing them, like stale oranges, for more. Packed tight, like hives of maggots, thickly seething Within our brains a host of demons surges. Deep down into our lungs at every breathing, Death flows, an unseen river, moaning dirges. If rape or arson, poison, or the knife Has wove no pleasing patterns in the stuff Of this drab canvas we accept as life – It is because we are not bold enough ! Amongst the jackals, leopards, mongrels, apes, Snakes, scorpions, vultures, that with hellish din, Squeal, roar, writhe, gambol, crawl, with monstrous shapes, In each man’s foul menagerie of sin – There’s one more damned than all. He never gambols, Nor crawls, nor roars, but, from the rest withdrawn, Gladly of this whole earth would make a shambles And swallow up existence with a yawn... Boredom ! He smokes his hookah, while he dreams Of gibbets, weeping tears he cannot smother. You know this dainty monster, too, it seems – Hypocrite reader ! – You ! – My twin ! – My brother ! – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal |