007 Livre Charles Baudelaire Les Épaves, à l'enseigne du Coq, 1866 |
GALANTERIES. |
XII LE MONSTRE ou LE PARANYMPHE D’UNE NYMPHE MACABRE I Tu n’es certes pas, ma très-chère, Ce que Veuillot nomme un tendron. Le jeu, l’amour, la bonne chère, Bouillonnent en toi, vieux chaudron ! Tu n’es plus fraîche, ma très-chère, Ma vieille infante ! Et cependant Tes caravanes insensées T’ont donné ce lustre abondant Des choses qui sont très-usées, Mais qui séduisent cependant. Je ne trouve pas monotone La verdeur de tes quarante ans ; Je préfère tes fruits, Automne, Aux fleurs banales du Printemps ! Non ! tu n’es jamais monotone ! Ta carcasse a des agréments Et des grâces particulières ; Je trouve d’étranges piments Dans le creux de tes deux salières ; Ta carcasse a des agréments ! Nargue des amants ridicules Du melon et du giraumont ! Je préfère tes clavicules À celles du roi Salomon[1], Et je plains ces gens ridicules ! Tes cheveux, comme un casque bleu, Ombragent ton front de guerrière, Qui ne pense et rougit que peu, Et puis se sauvent par derrière Comme les crins d’un casque bleu. Tes yeux qui semblent de la boue, Où scintille quelque fanal, Ravivés au fard de ta joue, Lancent un éclair infernal ! Tes yeux sont noirs comme la boue ! Par sa luxure et son dédain Ta lèvre amère nous provoque ; Cette lèvre, c’est un Éden Qui nous attire et qui nous choque. Quelle luxure ! et quel dédain ! Ta jambe musculeuse et sèche Sait gravir au haut des volcans, Et malgré la neige et la dèche Danser les plus fougueux cancans[2]. Ta jambe est musculeuse et sèche ; Ta peau brûlante et sans douceur, Comme celle des vieux gendarmes, Ne connaît pas plus la sueur Que ton œil ne connaît les larmes. (Et pourtant elle a sa douceur !) II Sotte, tu t’en vas droit au Diable ! Volontiers j’irais avec toi, Si cette vitesse effroyable Ne me causait pas quelque émoi. Va-t’en donc, toute seule, au Diable ! Mon rein, mon poumon, mon jarret Ne me laissent plus rendre hommage À ce Seigneur, comme il faudrait. « Hélas ! c’est vraiment bien dommage ! » Disent mon rein et mon jarret. Oh ! très-sincèrement je souffre De ne pas aller aux sabbats, Pour voir, quand il pète du soufre, Comment tu lui baises son cas[3] ! Oh ! très-sincèrement je souffre ! Je suis diablement affligé De ne pas être ta torchère, Et de te demander congé, Flambeau d’enfer ! Juge, ma chère, Combien je dois être affligé, Puisque depuis longtemps je t’aime, Étant très-logique ! En effet, Voulant du Mal chercher la crème Et n’aimer qu’un monstre parfait, Vraiment oui ! vieux monstre, je t’aime ! Le Monstre I Tu n’es certes pas, ma très-chère, Ce que Veuillot nomme un tendron. Le jeu, l’amour, la bonne chère, Bouillonnent en toi, vieux chaudron ! Tu n’es plus fraîche, ma très-chère, Ma vieille infante ! Et cependant Tes caravanes insensées T’ont donné ce lustre abondant Des choses qui sont très-usées, Mais qui séduisent cependant. Je ne trouve pas monotone La verdure de tes quarante ans ; Je préfère tes fruits, Automne, Aux fleurs banales du Printemps ! Non ! tu n’es jamais monotone ! Ta carcasse à des agréments Et des grâces particulières ; Je trouve d’étranges piments Dans le creux de tes deux salières ; Ta carcasse à des agréments ! Nargue des amants ridicules Du melon et du giraumont ! Je préfère tes clavicules A celles du roi Salomon, Et je plains ces gens ridicules ! Tes cheveux, comme un casque bleu, Ombragent ton front de guerrière, Qui ne pense et rougit que peu, Et puis se sauvent par derrière, Comme les crins d’un casque bleu. Tes yeux qui semblent de la boue, Où scintille quelque fanal, Ravivés au fard de ta joue, Lancent un éclair infernal ! Tes yeux sont noirs comme la boue ! Par sa luxure et son dédain Ta lèvre amère nous provoque ; Cette lèvre, c’est un Eden Qui nous attire et qui nous choque. Quelle luxure ! et quel dédain ! Ta jambe musculeuse et sèche Sait gravir au haut des volcans, Et malgré la neige et la dèche Danser les plus fougueux cancans. Ta jambe est musculeuse et sèche ; Ta peau brûlante et sans douceur, Comme celle des vieux gendarmes, Ne connaît pas plus la sueur Que ton oeil ne connaît les larmes. (Et pourtant elle a sa douceur !) II Sotte, tu t’en vas droit au Diable ! Volontiers j’irais avec toi, Si cette vitesse effroyable Ne me causait pas quelque émoi. Va-t’en donc, toute seule, au Diable ! Mon rein, mon poumon, mon jarret Ne me laissent plus rendre hommage A ce Seigneur, comme il faudrait. « Hélas ! c’est vraiment bien dommage ! » Disent mon rein et mon jarret. Oh! très-sincèrement je souffre De ne pas aller aux sabbats, Pour voir, quand il pète du soufre, Comment tu lui baises son cas ! Oh! très-sincèrement je souffre ! Je suis diablement affligé De ne pas être ta torchère, Et de te demander congé, Flambeau d’enfer ! Juge, ma chère, Combien je dois être affligé, Puisque depuis longtemps je t’aime, Étant très-logique ! En effet, Voulant du Mal chercher la crème Et n’aimer qu’un monstre parfait, Vraiment oui ! vieux monstre, je t’aime ! Monstre I Beloved, certainly you’re not What Veuillot calls a “tenderling.” Bubbling in you, as in a pot, Dice, lust and revel have their fling. My dear old child, you’re surely not Too fresh these days. However, dear, Your tireless game of fast-and-loose Has given you that smooth veneer, That things acquire from constant use. It has its charms, however dear. I do not find it growing stale – That sap your forty summers bring Since autumn fruits with me prevail Over the banal flowers of spring. No! you are never dull nor stale. Your carcase for your age atones, And gives particular delight In hollows of your collar bones, And other places out of sight. Your carcase certainly atones. A fig for those poor doting fools Who’re melon-struck and pumpkin mad, Since I prefer your clavicules To those King Solomon once had. A fig for such poor doting fools ! A blue-black helmet is your hair. It shades your warrior’s brow whereon Both thoughts and blushes are so rare – And then sweeps backward, and is gone ! A blue black helmet is your hair. Your eyes resemble mud and mire, Whereon a flaring lantern streaks, Reflects the fard upon your checks, And glows with pale infernal fire. Your eyes are coloured like the mire. By its voluptuous disdain Your bitter lip provokes our lust. It’s Eden’s apple once again, Half is attraction, half disgust, In its voluptuous disdain. Your leg, so muscular and dry, Could climb volcanoes, never stop, And, spite of snow, and wind, and rain, Perform a cancan at the top. Your leg is muscular and dry. Your burning skin is void of sweetness : Like an old soldier’s it appears. To sweat it never had the weakness More than your eyes could furnish tears. And yet it has a kind of sweetness ! II Fool ! You are driving to the Devil. Willingly I would go with you If the momentum of your revel Did not exasperate me too. Fool ! go, alone, then, to the Devil. My hip, my lung, my hams, my thigh Won’t let me longer pay respects (Although it often makes me sigh) To that great Lord, as he expects. It’s very sad for ham and thigh Oh most sincerely do I suffer Not to accompany your freaks ; When he is flatulating sulphur To see you kiss him where he leaks. O most sincerely do I suffer ! I feel so devilish annoyed No more to serve you as a socket, You hellish torch ! Infernal rocket ! And to declare my duty void ; I do feel devilish annoyed, Since for a long, long time I love you Being so logical. My dream Was of all ill to skim the cream, Place no monstrosity above you And own you in that line supreme. Truly, old monster ! yes, I love you. – Roy Campbell, 1952 |
Charles Baudelaire Les Fleurs du Mal++ |