Le Chemin des idées (3) |
«L'état de jeune, c'est un passage, une maladie dont on guérit»,
déclarait la présidente du Medef, Laurence Parisot, il y a quelques
jours, dans les colonnes de La Tribune. D'après ce diagnostic, Sophie
Talneau, 28 ans, serait donc malade. Ou, au mieux, en voie de
guérison... Auteur, en 2005, du livre grinçant On vous rappellera
(Hachette Littératures), qui décrit l'univers impitoyable du monde du
recrutement, cette diplômée d'une école de commerce a connu les stages,
un premier job durant onze mois, puis trois ans de chômage... Elle se
voyait cadre sup dans le marketing. Son expérience de l'entreprise puis
des Assedic - et les 15 000 exemplaires écoulés de son essai - l'ont
fait changer d'avis. «Aujourd'hui, je suis freelance pour le journal
interne de L'Oréal et c'est exactement ce qu'il me fallait, explique
Sophie Talneau. J'échappe à la vie de bureau. Pas d'horaire fixe, pas de
hiérarchie, pas de contrainte. Cela me permet d'avoir un peu de temps à
consacrer à mon prochain roman.» Lionel, lui, a 30 ans. Il est l'un des fondateurs du mouvement Génération précaire, qui, au-delà de son action pour la reconnaissance des stages, est un révélateur de l'état d'esprit de la jeunesse. Diplômé en droit, sciences politiques et gestion, il a décroché, il y a cinq ans, un stage qui devait déboucher sur un CDI. On le lui avait promis. Il a finalement signé un CDD d'un mois puis s'est retrouvé au chômage à 25 ans. Lui aussi est atteint du syndrome jeune. Assis dans un café bobo de l'Est parisien, Lionel raconte sa frustration : «J'ai été confronté au cynisme des entreprises classiques. Aujourd'hui, j'ai arrêté de chercher un CDI et je me concentre sur le secteur associatif. La concurrence y est tout aussi forte, les salaires sont moins élevés, mais, au moins, j'y trouverai un sens à ce que je fais.» Mais qui sont ces jeunes qui défilent dans les rues pour clamer haut et fort leur opposition au contrat première embauche (CPE) de Dominique de Villepin ? Des désabusés inadaptés aux règles de l'entreprise ? Des fainéants qui ignorent le sens du mot «travail» ? Le poids des préjugés est tel que jeunes et entreprises semblent vivre dans des camps retranchés, s'ignorant l'un l'autre sauf en cas de force majeure : nécessité de renouveler les effectifs pour les uns, besoin de gagner sa vie pour les autres. La jeunesse de 2005 serait-elle plus effrayante pour l'entreprise que celle des années 1970 ? «Les jeunes voudraient consommer tout de suite, arriver à des niveaux de salaire élevés [...]. En même temps, ils refuseraient toutes contraintes d'horaire, de discipline, d'engagement vis-à-vis de la société, tandis que l'argent ne serait plus d'un attrait suffisant pour leur permettre d'accepter certaines conditions de travail.» Cette citation à la résonance si actuelle date de… 1972 ! Elle est extraite d'une très sérieuse étude, publiée par Entreprise & Personnel, un centre de ressources et de conseils spécialisé en ressources humaines. De quoi tordre le cou à quelques à priori… |