Le Chemin des idées (1)
À ceux qui me demandent si les idées que je lance ici, chronique après chronique, sont parfois mises en œuvre, je citerai le débat sur l'emploi des jeunes. Dans ma chronique publiée dans L'Express du 5 septembre 2005, j'ai proposé de considérer que tout chômeur en formation et activement à la recherche d'un emploi dans le secteur marchand exerce une activité socialement utile méritant un salaire, sous la forme d'un «contrat d'évolution». J'ai montré que cette réforme ne coûterait pas plus cher que les dispositifs actuels d'allocations de chômage, soit, pour résoudre la totalité du chômage des jeunes, 0,5% du PIB. La façon dont, depuis cette chronique, circule cette idée est révélatrice de ce qu'est le débat public aujourd'hui.

La droite comme la gauche, partout dans le monde, pensent que, pour plaire aux consommateurs, les prix de tous les biens, y compris celui du travail, doivent baisser. Pour la droite, cela passe par la précarisation de l'emploi. En France, le Premier ministre propose un «contrat première embauche», qui précarise les emplois des jeunes en réduisant les protections du Code du travail. Pour la social-démocratie, cela passe par la prise en charge par l'impôt d'une partie du coût du travail productif, ou par la création d'emplois publics aidés tels les «emplois-jeunes», sans utilité productive particulière.

L'expérience enseigne que ces deux méthodes ne réduisent pas durablement le chômage. Seules créent des emplois durables la qualification des travailleurs et leur recherche active d'un emploi dans le privé. Et ma proposition, qui vise à considérer que la société doit un revenu à tous ceux qui font l'effort de se former et de chercher un travail productif, commence à être reprise, ici ou là, de façon homéopathique.

Jean-Louis Borloo parle d'expérimenter un «contrat de transition professionnelle». François Hollande propose un «contrat sécurité formation», à durée indéterminée, avec un volet formation financé par l'impôt. Dominique Strauss-Kahn parle de «garantie permanente d'activité». Laurent Fabius, d'un «contrat sécurité insertion» qui donnerait aux jeunes sans qualification des droits à un suivi par l'ANPE et fournirait aux entreprises des aides financières pour faciliter le tutorat et inciter à l'embauche en fin de contrat.
Tous ne parlent d'essayer cette idée que pour les jeunes ; aucun n'a le courage de la poser en principe et d'admettre que se former et chercher un emploi constituent une activité socialement utile. Il faudrait pour cela oser afficher des réalités difficiles : la collectivité a la responsabilité d'être l'employeur de dernier ressort de tous les citoyens. L'ANPE doit céder la place à des organisations nouvelles ayant intérêt à la diminution du nombre de chômeurs. Les chômeurs doivent faire l'effort de chercher très activement des emplois, pour mériter d'être rémunérés.

Telle est la France d'aujourd'hui : une droite qui n'ose pas aller au bout du libéralisme, une gauche qui reste largement étatiste. Et, quand surgit une idée différente, les uns et les autres la reprennent, par bribes, uniquement pour ne pas la laisser aux autres.