Le compte à rebours
Conservation ou exploitation ? Le débat n'est pas
nouveau. Il commence même déjà à dater. Les éternels
affrontements entre ceux qui militent pour la
protection inconditionnelle de sanctuaires naturels
et ceux qui défendent les intérêts économiques des
compagnies forestières semblent même passés de mode.
Une voie médiane commence à s'imposer entre deux
points de vue jugés longtemps inconciliables. Mais
au rythme auquel les forêts tropicales se dégradent,
il devient urgent de traduire sur le terrain une
politique propre à pérenniser les ressources
forestières.
Sur le continent africain, qui recèle un cinquième
des forêts tropicales du monde, il est délicat
d'établir un palmarès des risques que connaissent
les zones exposées. La prolifération de la culture
sur brûlis a largement dégradé la forêt ivoirienne
alors que le Gabon a plus à craindre de l'ouverture
de son couvert forestier à l'exploitation
industrielle du bois. La construction de routes et
d'infrastructures dans les forêts entraîne le plus
souvent un afflux de population incontrôlable, ce
qui ne fait qu'accroître le déboisement.
Mais ce n'est pas là le seul effet secondaire. La
chasse est également liée à l'exploitation
forestière, le commerce du gibier offrant des
possibilités lucratives. Un ouvrier forestier peut
doubler son salaire en braconnant un chimpanzé, et
le percement des routes permet d'écouler les
produits de la chasse vers les grandes villes où un
marché florissant se développe.
L'exploitation est la plupart du temps confiée à des
sociétés privées européennes ou asiatiques. En règle
générale, l'exploitation sélective qui en résulte
n'entraîne pas de déboisement massif. Et une forêt
bien aménagée pourra ultérieurement fournir une
nouvelle récolte de bois. Cependant dans certains
cas, les exploitants veulent rentabiliser leur
concession au maximum et dans des délais beaucoup
trop courts d'un point de vue écologique. Reprochant
aux autorités administratives l'absence de politique
forestière à long terme, ils profitent de la durée
de leurs permis pour
exploiter sans discernement tout ce qui peut se
vendre afin d'accroître leurs marges bénéficiaires.
D'autre part les pays détenant une partie de la
forêt tropicale en font une source de revenus
optimale à court terme. Pour ces États qui croulent
sous le poids d'une dette extérieure souvent
insoutenable, les revenus sylvicoles en devises
constituent une part importante de leur budget et de
leur produit intérieur brut. Créatrice d'emplois, la
filière permet aussi de rééquilibrer une balance
commerciale souvent désavantageuse, tout en
diversifiant les activités locales. Reste que la
bonne gouvernance apparaît comme un facteur capital
pour l'avenir de la forêt. Dans certains pays, la
prise de décision est aux mains d'un petit groupe de
personnes ou de clans au sein du gouvernement qui
considèrent les forêts primaires comme une source de
revenus personnel à court terme, ce qui entraîne la
conclusion de contrats rapportant principalement des
bénéfices à l'investisseur et à certains
fonctionnaires. La corruption se ressent à
différents niveaux: les salaires sont si bas que les
employés sont tentés d'accepter des pots-de-vin pour
approuver des plans d'exploitation qu'ils n'ont
jamais vus.
Face à cette pression du marché doublée d'une
absence de contrôle rationnel, la forêt est-elle
condamnée ? Pas forcément, mais il ne s'agit pas de
sous-estimer la menace. Plusieurs pays ont commencé
à appliquer les principes d'une gestion intelligente
d'une ressource longtemps considérée comme
inépuisable. Simultanément des forestiers se
convertissent à l'aménagement afin de procéder à une
exploitation sylvicole rationnelle. Reste à faire de
ces principes une règle pour tous. Sinon le poumon
de la terre continuera inexorablement à disparaître.
Au rythme d'une vingtaine de terrains de football
par minute.
Jeune Afrique, 30 mai 2000 |